Astérix, l’iPhone et la baleine
Colloque de l’AED
Paris, 5 décembre 2014
Excellences, chers Pères, Mesdames et Messieurs, chers amis,
Nous voici réunis pour réfléchir sur ce qui agite l’actualité depuis quelque temps, et en particulier depuis cet été avec la chute de Mossoul, à savoir le Moyen-Orient. Avec l’émergence de l’Etat islamique et toutes les réactions en chaîne qui en découlent, on ne voyait pas très bien en effet comment faire l’impasse sur cette question qui intéresse bien au-delà de la sphère religieuse. En réalité, tout le monde aujourd’hui se sent plus ou moins concerné par ces événements avec le trouble pressentiment que cette violence pourrait, tôt ou tard, nous rattraper.
Mais avant de penser à notre propre sort, il convient de se pencher sur ce que vivent ces populations emportées comme fétus de paille par la tempête du désert qui semble s’être installée durablement sur le Moyen-Orient depuis l’opération du même nom en 1991.
Bien entendu, nous aurons à coeur de veiller particulièrement au sort de nos frères chrétiens dans cette région, d’autant plus qu’ils paient sans doute un prix proportionnellement bien supérieur aux autres la déliquescence de l’état de droit dans la région. Cela ne nous empêche pas toutefois d’également compatir aux souffrances de l’ensemble de la population car tout le monde y est exposé.
Etre chrétien y est de moins en moins une bonne idée mais mieux vaut ne pas être yézidi non plus, ni chiite dans une région sunnite, ni le contraire, ni même sunnite modéré si vous êtes aux mains de sunnites rigoristes. A ce rythme-là, on se demande bien quel avenir la région pourra avoir et les populations concernées avec.
Pour en revenir aux chrétiens, le simple fait, au niveau du sous-titre, de poser la question de leur fin dans ce nouveau Moyen-Orient est déjà en soi un élément de réponse. Cela signifie que l’éventualité de leur disparition aujourd’hui ne relève plus d’une provocation rhétorique ou d’un scénario exagérément alarmiste mais malheureusement d’une probabilité croissante, reflétée par le titre de la quatrième et dernière partie du colloque, « Entre cercueil et valise ».
Mais avant cela, il nous faudra faire un retour en arrière avec le bilan d’un siècle. Dans sa chute, l’empire ottoman a été aussitôt remplacé par un redécoupage franco-britannique. Arrive-t-on à la fin d’un cycle ? A-t-on réellement digéré ce XXème siècle, que ce soit au Moyen-Orient ou chez nous d’ailleurs ? S’est-on vraiment remis de 1914 et de ce gigantesque suicide continental dont nous célébrons le centenaire ?
Or, pour le Custode de Terre Sainte, le père Pizzabella, cette année 2014 est au Proche-Orient ce que la Première guerre mondiale a été pour l’Europe. « Les anciennes règles n’existent plus » dit-il, « mais nous ignorons encore à quoi ressembleront les nouvelles règles ».
Ce sera la première partie de notre journée. Nous verrons ensuite quel jeu les grandes puissances jouent dans la région (si l’on peut parler de jeu au vu des conséquences dramatiques pour les populations locales). Cette analyse globale entre histoire et géopolitique, économie et diplomatie nous occupera toute la matinée. Dans l’après-midi, c’est plutôt la dimension religieuse qui nous intéressera avec le décryptage de la montée djihadiste dans le monde musulman et son impact sur la présence chrétienne dans cette région du monde.
D’ores et déjà, je tiens à remercier chacun de nos intervenants pour avoir accepté notre invitation et pour nous aider à mieux comprendre le Moyen-Orient dont on a dit qu’il était compliqué. Je remercie tout particulièrement Frédéric Pichon qui nous a aidés à affiner et enrichir le programme de cette journée.
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En préparant cette introduction, trois mots me sont venus à l’esprit : Astérix, l’iPhone et la baleine. Permettez-moi de développer un peu.
Astérix tout d’abord. Lorsque je réfléchis au Moyen-Orient me revient quasi-systématiquement en mémoire l’Odyssée d’Astérix. Dans cet album, le druide Panoramix n’a plus de potion magique et envoie Astérix, Obélix et Idéfix chercher de l’huile de roche (c’est-à-dire du pétrole, dont nous reparlerons) là où l’or noir se trouve déjà à l’époque, au Moyen-Orient.
Il y a une page où Uderzo, le dessinateur, ne s’est pas foulé : le même dessin revient image après image où l’on voit nos gaulois préférés se prendre un déluge de flèches de la part de Mèdes puis d’un groupe d’Akkadiens puis de Hittites, d’Assyriens et autres Sumériens qui se font la guerre. C’est drôle mais ce que l’on en retire, c’est que la guerre dans la région, c’est une habitude, voire une tradition !
Cela n’enlève rien à l’aspect tragique de l’actualité, d’autant que l’on a certainement gravi des degrés dans la violence mais cela permet de prendre du recul : après tout, les problèmes n’y datent pas d’hier. Rassurez-vous néanmoins, les albums d’Astérix ne sont pas mon unique source de recherches.
Concernant l’iPhone, c’est plus précisément à Siri que je pense. Siri est une application informatique qui comprend les instructions verbales données par les utilisateurs et tente de répondre à leurs requêtes. Qualifiée d' « assistant personnel intelligent », l’application équipe les iPhones depuis trois ans. Si vous dites à votre téléphone « que se passe-t-il au Moyen-Orient ? » par exemple, Siri vous répond en vous proposant une dizaine de tweets qui évoquent le Moyen-Orient dans l’actualité.
Quoiqu’il en soit, la proximité sémantique de Siri avec la Syrie m’autorise de faire un parallèle. Si l'application permet de trouver des explications sur la crise au Moyen-Orient, il va de soi que la Syrie est une des explications de cette crise, et sans doute une des plus importantes.
Il y a eu une sorte d’unanimité internationale à détruire la Syrie, sous prétexte que son Président qui, je le rappelle, était tout de même invité au défilé du 14 juillet à Paris il y a encore six ans, n’était pas assez démocratique. Passons sur le fait que s’il fallait faire la guerre à tous les pays du monde qui ne sont pas démocratiques, on n’aurait pas fini de sitôt et que cet argument, hormis en Occident où il est brandi en permanence par la propagande d’Etat, n’est absolument pas pris au sérieux dans le reste du monde, que ce soit au fin fond de la brousse africaine ou dans les rizières asiatiques.
Il va de soi que cette unanimité recouvrait d’autres intérêts. Pour la péninsule arabique, Arabie Saoudite et Qatar, il s’agissait de punir le régime syrien pour s’être opposé à la construction d’un oléoduc traversant la Syrie en vue du marché européen, mais aussi de briser l’arc chiite qui va de l’Iran au Liban et qui passe par l’Irak et la Syrie, les alaouites au pouvoir à Damas étant apparentés au chiisme. Tout cela est bien cohérent.
Pour l’Occident, il s’agissait de faire plaisir à nos amis de la péninsule arabique, ceux que nous venons de nommer, car il nous faut leur vendre des armes et ils détiennent une partie croissante de notre dette, ce qui nous oblige quelque peu…
Or, la perte de contrôle par le régime syrien d’un partie importante du nord-est du pays a permis à la rébellion, lourdement armée et financée, de prospérer. L’Etat islamique, né en Irak pour combattre les américains, y a trouvé refuge, s’y est aguerri, enrichi, renforcé avant de revenir en Irak cet été et de prendre Mossoul, tombée le 10 juin. La question syrienne est donc bien au coeur de ce nouveau Moyen-Orient.
Après Astérix et l’iPhone, troisième mot : la baleine. Il s’agit bien sûr du monstre marin dans lequel séjourna pendant trois jours le prophète Jonas qui cherchait à fuir la mission que Dieu lui avait donnée, à savoir la conversion de Ninive, l’ancienne Mossoul. Rétrospectivement, on peut se demander si sa mission fut réellement une réussite car, comme nous le voyons encore aujourd’hui, cette ville pose problème.
Toujours est-il qu’à l’époque, Jonas finit par arriver à Ninive et dispose de trois jours pour obtenir le repentir de la population dont l’injustice et l’impiété ont précipité le courroux divin. Or, dès le premier jour, tous, à commencer par le roi, se repentent et demandent pardon à Dieu qui retient ainsi le châtiment préparé. Ninive et la baleine, ça va ensemble.
Comment ne pas imaginer les chrétiens du Moyen-Orient comme étant aux prises du monstre marin ? Comme Jonas, ils veulent fuir. Comme Jonas, ils sont ballotés par la tempête. Comme Jonas, ils sont finalement sacrifiés par les autres et jetés par-dessus bord. Que vont-ils devenir ?
Mais Jonas nous apprend aussi que Dieu veille. Après trois jours, qui annoncent les trois jours de l’ensevelissement du Christ, Jonas est libéré. Dieu fait aussi miséricorde puisqu’il suffira d’un jour de repentance pour sauver Ninive. Même s’il semble parfois tarder, car son temps n’est pas le nôtre, on peut imaginer que Dieu ne reste pas indifférent à cette région d’où il a appelé le premier croyant, Abraham, et où il s’est incarné.
Quel est donc son plan pour le Moyen-Orient ? Et comment va-t-il opérer alors que les intérêts et les appétits des différents acteurs locaux et internationaux ne cessent de se contrarier ? Les cartes sont en train d’être redistribuées, la carte du Moyen-Orient remodelée. En route donc pour cette odyssée, à la recherche de clés pour mieux comprendre les enjeux de cette région et imaginer le scénario du futur
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Bonne journée à tous !
Marc Fromager, directeur de l’AED.
http://www.aed-france.org/actualite/communique-plus-de-400-personnes-autour-de-la-question-du-moyen-orient/